28 de maig 2017

Amb motiu de la mort de Miguel Abensour

El passat 22 d'abril va morir a París el filòsof Miguel Abensour. Abensour era sens dubte un dels filòsofs francesos actuals més reputats. Era, també, membre del consell assessor de la nostra Revista de Cultura Mirmanda, des del primer moment en què va començar a caminar. Abensour, generós, ens va ajudar des del dia en què li vam explicar la nostra idea a través del company Jordi Riba. Abensour havia conegut i estat company de Joan Borrell, a qui vam dedicar el primer número de Mirmanda. I això es notava, i s'entenia.

Des de Mirmanda hem volgut fer una petita nota en memòria de Miguel Abensour i publicar l'escrit que, un altre amic seu i company de Mirmanda, el també filòsof Patrice Vermeren, ha escrit per a ell.


J’ai rencontré Miguel Abensour dans le train entre Paris et Reims, à l’époque où il venait de fonder le Centre de Philosophie Politique de l’Université de Reims. Professeur à l’école normale d’instituteur de Troyes, j’étais aussi  chargé des cours de philosophie dans le département de sciences économiques de l’Université de Reims. Une université dont le département philosophie était sinistre et sinistré, tandis que rayonnait sur le même campus et dans la Faculté de droit et sciences politiques l’astre abensourien, son cours suivi par toute une communauté d’étudiants, de professeurs et d’auditeurs libres saisie par un projet  philosophique qui s’ancrait résoluement dans trois directions : 1) dans le diagnostic d’une crise de la modernité 2) dans une lutte contre la restauration de la philosophie politique académique 3) dans l’idée régulatrice de recouvrer, reconquérir, l’irréductibe hétérogénéité des choses politiques et penser l’énigme du vivre-ensemble humain. Ses références privilégiées : Hannah Arendt, Jürgen Habermas, Claude Lefort, étaient étrangères à ma formation philosophique canguilhemienne et à mon engagement dans la revue Les Révoltes Logiques aux côtés de Jean Borreil, Geneviève Fraisse, Jacques Rancière et Stéphane Douailler, mais nous conversions obstinément sur le dix-neuvième siècle, et singulièrement sur Pierre Leroux. C’est dans ces circonstances qu’il m’a proposé de diriger ma thèse sur le jeu de la philosophie et de l’Etat, et il m’a soutenu jusqu’à me faire entrer au CNRS. Il a fait la carrière professorale de bien d’autres philosophes de la génération de 1968 comme Georges Navet, Martine Leibovici et Etienne Tassin, et nous lui devons, destin improbable,  d’être devenus professeurs d’Université. Si je puis dire, il nous a institutionnalisés.

Il avait écrit sur Saint-Just et sa tentative de sortir de la Révolution par les institutions, parce que sa conviction, avec Deleuze, était que l’institution est un modèle positif d’action, tandis que la loi est une limitation des actions. Son élection comme président du Collège international de philosophie l’a illustrée autant que son passage à Reims ou à Paris 7 . Pour utiliser une expression célèbre, il a mis le feu à la philosophie. Il y avait dans le Collège la possibilité d’un travail en commun et d’une ouverture de la philosophie à son extèrieur, comme dans l’école de Francfort. Mais surtout il a mis le conflit au principe du Collège, parce que pour lui cette communauté philosophique, pour être elle-même, ne pouvait être qu’un espace agonistique qui doit se reconstruire sans cesse si elle veut sauver sa nature d’institution utopique vouée à l’émancipation. Celui qui avait institutionnalisé à l’Université la génération philosophique soixante-huitarde, du même geste, cultivait la marginalité dans l’institution utopique du collège parce que « son projet l’ouvrait à la prise en compte des possibles,  et donc en rupture avec l’ordre établi ».

Et c’est aussi sans doute ce qui caractèrise son œuvre philosophique. Horacio Gonzalez , le directeur de la Bibliothèque Nationale d’Argentine, a remarquablement saisi le geste philosophique de Miguel Abensour comme un processus de libération des textes : « Pour Abensour, les textes son des preuves « en acte » d’un sentiment utopique (…). Si utopie il y a, c’est parce qu’il y a une lecture des textes faisant appel à leurs lignes de fuite, à leurs noyaux sans cesse irrésolus ». Ce que perçoit bien Horacio Gonzalez, c’est que le but d’Abensour est moins de proposer une théorie de l’utopie  que de provoquer chez le lecteur des sentiments qui révèlent les pensées qui sont le fruit de l’imagination utopique, et des sentiments qui vont provoquer le lecteur en acte à reprendre sa lecture, à libèrer les textes d’eux-mêmes, à les sauver, parfois contre eux-mêmes.  Lire Abensour lisant des textes oubliés, ou retrouvant le fil conceptuel perdu d’autres textes, ce serait accepter d’entrer dans la peau de ce personnage utopique : le lecteur émancipé. Je concluerai par la citation d’une lettre qu’une de mes doctorantes latino-américaines m’a adressée hier, Luz Maria Lozano, professeure à l’Université del Atlantico de Barranquilla (Colombie) : « Cher Patrice, Miguel Abensour est mort et laisse le poids de la mort avec vous parce qu´un ami est parti, cependant l´inmortalité de sa pensée reste avec nous, restent aussi les utopies”.            

                                                                  Patrice Vermeren, Université Paris 8.